LES DÉPUTÉS FRANÇAIS :
une population méconnue…
Un homme de plus de cinquante ans, fortement diplômé, issu des catégories professionnelles supérieures et cumulant plusieurs mandats… tel est le profil type du député français établi par une étude de deux chercheurs du CNRS. Plus qu'un problème de représentativité de la société française, ce profil trahit une professionnalisation de la vie politique qui n'est pas sans poser quelques questions
L'Assemblée nationale : 577 députés bien mal connus.
Comment expliquer que les députés français soient aussi mal connus ? La dernière étude systématique les concernant date de 1973 et le dernier ouvrage d'ampleur remonte au début des années 80. « Ces dernières années, on est allé chercher le politique ailleurs que dans les institutions, explique Olivier Costa du laboratoire Spirit* de l'Institut d'études politiques de Bordeaux. Beaucoup de gens se sont intéressés aux mouvements de chômeurs, aux mouvements associatifs, aux formes de contestations non structurées… on finit par voir de la politique partout sauf au Parlement. »
C'est pour corriger ce défaut de connaissance qu'Olivier Costa et son collègue Éric Kerrouche se sont lancés dans le projet Depastra, une étude comparative « des profils et comportements des députés français à l'Assemblée nationale et au Parlement européen ». Les premiers résultats de ce travail – consacré aux 577 députés élus lors des législatives de 2002 – font l'objet d'un livre disponible en librairie depuis le 7 juin**.
* Science Politique Relations Internationales Territoire. ** Qui sont les Français ? Enquête sur des élites inconnues. Olivier Costa et Éric Kerrouche. Collection Nouveaux Débats, 11, 216 p., 12 €, ISBN 978-2-7246-1030-7 - code SODIS 954 911.7
Un protocole original
Pas facile d'étudier cette frange de la population… Et pour l'appréhender sous toutes ses facettes, les deux chercheurs ont mis au point un protocole particulièrement rigoureux – grilles d'enquêtes, questionnaires, etc. – qui doit d'ailleurs servir d'étalon pour de prochaines études menées dans les autres pays européens, et qui permettra dès lors de procéder à un comparatif poussé entre les différents parlements.
« Accéder jusqu'au bureau des députés n'est pas chose facile. »
« Nous avons travaillé selon trois sources principales, explique Olivier Costa. Dans un premier temps, nous avons étudié les données produites par l'Assemblée elle-même : les textes, les questions, les amendements… Nous nous sommes ensuite intéressés aux députés eux-mêmes, afin de comprendre quels étaient leurs profils sociologique, biographique, leur parcours scolaire ou professionnel, ce que faisaient leur parents, etc. des données inédites en France car celles habituellement disponibles et diffusées par l'Assemblée sur son site internet sont purement déclaratoires. Enfin, il nous paraissait important de rencontrer les députés en tête à tête. Pourquoi en tête à tête ? Parce qu'on sait très bien que dans le cas contraire, ce sont leurs assistants qui auraient rempli nos formulaires… »
Un profil très particulier
Après dix mois d'enquête – et malgré de nombreux refus – Olivier Costa et Éric Kerrouche ont pu dresser un portrait plus précis de nos députés. Premier constat, l'Assemblée nationale est loin d'être représentative de la population française. Un profil type se dessine très clairement parmi les 577 élus.
Le député moyen est un homme de plus de 50 ans, issu d'un milieu professionnel élevé et cumulant les mandats.
Les députés français sont ainsi majoritairement masculins (dans 87,5% des cas) ; une particularité qui place la France au 84° rang mondial pour la représentation des femmes à l'Assemblée. Près des trois quarts des élus (72,5%) ont plus de 50 ans ; les moins de quarante ans ne représentant que 6% ! Ils sont généralement très diplômés et proviennent de classes professionnelles élevées (cadres supérieurs…) ; seulement 3,5% des représentants de l'Assemblée nationale sont agriculteurs.
Ce manque de représentativité ne semble pas particulièrement choquer Olivier Costa. « Aucune démocratie moderne n'a de représentants correspondant au reste de sa population. On ne demande pas forcément à quelqu'un d'être handicapé pour défendre les handicapés. Ceci dit, en France, ce déséquilibre prend des proportions importantes et il est intéressant de comprendre comment on est arrivé à cette situation. »
Des professionnels de la politique
Les deux chercheurs mettent en avant une particularité typiquement française : la professionnalisation de la vie politique. La plupart des élus ont commencé leur carrière politique lorsqu'ils avaient une trentaine d'années et tous comptent bien la terminer après en avoir gravi tous les échelons.
« On peut tout à fait considérer qu'il vaut mieux un professionnel à l'Assemblée plutôt qu'un amateur, note Olivier Costa. Mais cette professionnalisation s'accompagne d'effets pervers : puisque c'est leur condition professionnelle qui se joue à chaque élection, les députés vont tout mettre en œuvre pour poursuivre leur carrière au risque parfois de privilégier leur intérêt personnel à celui de leurs concitoyens. »
« Une situation très particulière à la France... »
Selon les chercheurs, le cumul des mandats apparaît ici comme un élément clé de cette professionnalisation typiquement française. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 90,8% des élus de l'Assemblée nationale disposent de plusieurs mandats ; une situation qui explique d'ailleurs qu'une minorité d'entre eux exercent encore leur profession d'origine.
Des élus au pouvoir limité ?Un système verrouillé
« Que l'on vienne de gauche ou de droite, on n'arrive pas à l'Assemblée par hasard... »
Pour ces professionnels de la politique, il y a en effet bien des avantages à multiplier les mandats. « Le cumul donne de la sécurité, explique Olivier Costa. Si vous perdez une élection, vous disposez d'un autre mandat pour vous retourner. Autre avantage : en cumulant plusieurs mandats, vous finissez par assécher le territoire pour vos concurrents politiques ; vous disposez alors de toutes les ressources nécessaires à votre réélection. Il est bien évident que si un maire souhaite se présenter aux législatives, ce sera plutôt facile pour lui parce qu'il dispose de tous les réseaux, tous les contacts et un bilan à faire valoir auprès des électeurs que n'aura pas son concurrent. »
Dès lors – et c'est une situation typiquement française – il est quasiment impossible pour un « non-professionnel » d'accéder à la députation. La constitution de l'Assemblée nationale s'en ressent puisque, après un vieillissement de sa population observé depuis le début de la cinquième République, son profil est aujourd'hui en voie de stabilisation. « Une interdiction du cumul des mandats donnerait de l'air au système, souligne Olivier Costa, mais, les députés étant juges et parties dans ce domaine, une telle décision ne pourra venir que de l'exécutif. » Une réforme qui n'est pas à l'ordre du jour.
Olivier Boulanger
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